Yakoutie, terre des extrêmes

La république de Sakha ou Yakoutie est une république autonome russe située au Nord-Ouest de la Sibérie. Grande comme l’Inde avec seulement 1 million d’habitants, il s’agit de la région la plus froide de Russie. En hiver, le thermomètre descend facilement à -50°, voire plus. A Oïmiakon, on a enregistré le record de la température la plus basse de la planète : -71,2° en 1926.

Et c’est là – bas que je suis partie !! Autant dire que mes collègues et ma famille pensent que j’ai perdu la tête !! Que vais-je faire là-bas, moi qui ne supporte pas d’avoir froid !!

voyage en Yakoutie terre des extrêmes

Pour rejoindre Yakoutsk, la capitale, il faut prendre un vol depuis Moscou qui dure 8 heures. Nous sommes à 4 883km de Moscou à vol d’oiseau ( 8325 km par la route !).

Nous arrivons à 7 heures du matin par -19°, il fait presque bon. Contrairement à ce que l’on croit, l’air est sec et bien couvert, on ne souffre pas du froid. D’ailleurs, un proverbe russe dit qu’il « n’y a pas de mauvais temps mais seulement de mauvais vêtements ».

L’aéroport se trouve en ville. Je découvre une ville post-soviétique avec de grandes barres d’immeubles un peu délabrées et des tuyaux qui courent partout, c’est le chauffage, le gaz, l’électricité. Rien ne peut être enterré. Pas de métro, pas de cave ou de parking sous-terrain. Même les immeubles sont construits sur pilotis (jusqu’à 12m de profondeur) à cause du permafrost : le sol gelé en permanence. Ici l’hiver dure de novembre à mars. Au-delà des -50°, les écoles ferment ! Mais déjà, notre guide nous dit que les hivers sont moins froids maintenant (le thermomètre ne descend plus qu’à -45° en moyenne !).

Il ne faut pas chercher de patrimoine à Yakoutsk. Même si la ville a été fondée en 1632 par le cosaque Beketov, sur les berges de la Lena, il ne reste rien de son passé. Au XIXe siècle, on y envoie les exilés politiques, des décembristes… l’éloignement et le climat en font une prison à ciel ouvert.

Au XXe siècle, Yakoutsk devient l’un des centres idéologiques de la révolution. Dans les années 20, l’industrie minière se développe.

Mais la grande curiosité de la ville est son marché en plein air où l’on peut acheter  du poisson et de la viande congelés ! Les vendeurs y passent leur journée, bien emmitouflés dans plusieurs couches de vêtements.

Les Yakoutes racontent que « lorsque Dieu a survolé la Yakoutie un jour d’hiver, ses mains ont gelé et il a ainsi laissé échapper tous ses trésors ». En effet, la Yakoutie regorge de richesses : diamants (25% de la production mondiale), pierres précieuses et semi-précieuses, mines d’or, d’argent et de platine…Nous découvrons tout cela au musée du « Trésor de la république de Sakha ». On y a accès après avoir déposé toutes ses affaires, dont l’appareil photo et un contrôle strict.

La Yakoutie possède aussi des puits de pétrole, du gaz, du charbon…

Mais elle est surtout célèbre comme étant la terre des mammouths. Avec le dégel, des ossements ressurgissent régulièrement. Des équipes scientifiques japonaises, sud-coréennes, chinoises, américaines, britanniques et, bien sûr, russes sont actuellement sur un projet de clonage à partir du sang d’un mammouth retrouvé dans le nord… La visite du musée des mammouths est incontournable. On y apprend qu’ils pouvaient peser jusqu’à 6 tonnes et leurs défenses jusqu’à 140 kg pour les mâles, qu’ils n’avaient que 4 dents (énormes) qui repoussaient régulièrement…

Mais ce patrimoine est à l’origine de bien des convoitises. De nombreux braconniers traquent les restes de mammouths – au péril de leur vie car la chose n’est pas aisée – pour alimenter le marché chinois friand d’ivoire. La chasse aux éléphants étant interdite, on se rabat sur les mammouths…

Les piliers de la Lena sont l’une des curiosités à ne pas manquer, situés à 200km de Yakoutsk. Maxime, notre chauffeur, nous assure que c’est tout près. Pour les Yakoutes, les distances sont tellement grandes que 200km ou 4 heures de route ne représentent rien.

Lorsque nous quittons la ville, nous sommes très vite dans la taïga, forêt de bouleaux et de mélèzes… Les bouleaux sont beaucoup plus bas et fins que vers le Baïkal. Nous passons près de quelques villages aux petites maisons de bois. Nous nous surprenons de ne pas apercevoir de clocher. Puis la route descend sur la Lena et nous roulons sur la glace. C’est toujours très impressionnant pour nous, européens, qui vivons dans des zones tempérées, de voir une route de glace. Des panneaux de signalisation indiquent la vitesse autorisée et le poids maximum du véhicule et la profondeur de la glace.

Les piliers de la Lena sont des falaises qui plongent dans le fleuve. Pour accéder au sommet, il faut monter de nombreux escaliers, la vue se mérite. On prend alors conscience de l’immensité du fleuve. Tout est calme. Il n’y a aucun bruit hormis le chant de quelques oiseaux que le froid ne semble pas déranger.

Route vers Oïmiakon, le pôle du froid à 1000km à l’est de Yakoutsk.

Ce matin, cap vers l’Est. Il nous faudra deux jours pour rejoindre la vallée d’Oïmiakon. Le premier jour, la route semble tracée au cordeau à travers la taïga.

Un arrêt à Cherkeh pour visiter le musée en plein air est bienvenu. Nous découvrons ainsi l’habitat yakoute : petites maisons de bois, recouvertes d’une sorte d’enduit. L’intérieur modeste est chauffé par une cheminée conique au conduit en biais.  Une banquette de bois court le long de chaque mur. Une pièce est réservée pour la jeune fille de la famille afin qu’aucun prétendant ne puisse la voir puisqu’elle est promise depuis son plus jeune âge. En été, l’habitat ressemble à un tipi : une tente conique.

On apprend aussi que certains prisonniers politiques envoyés en Yakoutie y ont finalement fait leur vie. L’un d’entre eux a rédigé un dictionnaire yakoute-russe.

Nous passons la nuit à Khandiga, une ville triste et grise où fument les usines de charbon. Axe routier qui relie le nord et le sud de la région mais où la vie semble s’être arrêtée. Pas de restaurant, pas de boutique juste une ou deux petites superettes.

Ce voyage, par la longueur des étapes, par les villages traversés invite au questionnement. Toutes nos valeurs, nos habitudes sont remises en cause. Nous prenons conscience de la facilité de notre vie et du confort dont nous jouissons.

La route entre Khandiga et Tomtor, bien que très longue, n’est qu’émerveillement. Il faut traverser les montagnes de Verkhoïansk qui atteignent environ 2000 m d’altitude. Paysage vallonné, rivières gelées, ponts en bois abandonnés…

Cette route qui va jusqu’à Magadan est appelée la « route des os » car elle a été construite par les prisonniers des goulags dans des conditions inhumaines. On raconte que pendant le dégel, des os resurgissaient. Ce n’est plus le cas maintenant car la route a été asphaltée.

A Tiopli Klioutch, nous visitons le petit musée du Goulag. Très peu d’objets sont présentés mais notre guide, une maîtresse d’école bénévole, est passionnante et intarissable. Ainsi, on apprend qu’il y avait 30 000 prisonniers en 1928 et qu’on atteignit 12 millions à la mort de Staline en 1953…Toutes les familles de la région subirent la répression et eurent un parent déporté.

Il est difficile d’imaginer faire ce voyage en individuel, sans une personne de la région nous accompagnant.  Pendant le voyage, nous avons crevé deux fois (un minimum d’après Vadim, notre guide). Maxime, notre chauffeur très expérimenté, a prévu deux roues de secours. Sur le toit du véhicule se trouve également une pelle et une grande housse pour le couvrir la nuit. Il faut penser à tout. Les voitures ont un double vitrage amovible (une fenêtre que l’on colle à l’intérieur et que l’on retire dès qu’il fait meilleur) et le moteur est constamment protégé par une sorte de housse…

Arrivé dans la montagne, Maxime branche sa radio CB. Il faut pouvoir communiquer avec les nombreux camions qui empruntent cette route jusqu’à Magadan, sur la côte pacifique. Les virages sont serrés et la visibilité réduite. On voit très peu de stations services, il faut donc prendre ses dispositions avant de partir.

Nous nous arrêtons dans un routier pour déjeuner.  Tous les routiers s’y arrêtent mais il doit y avoir seulement 4 tables. Il a été construit dans 2 containers et porte le nom exotique de « Cuba Café ». Deux serveuses assurent le service et se relaient en cuisine. Ici on ne traîne pas. On est vite servi, on mange vite et on laisse la place aux suivants.

Il nous faudra encore 3 heures de route pour arriver jusqu’à la vallée d’Oïmiakon où se trouvent plusieurs villages dont Tomtor où nous allons dormir chez Alexander. Il nous laisse sa maison et ses filles nous apportent les repas.

Sa maison est confortable : chauffée par un poêle qui alimente chaque pièce. Il y a l’électricité mais pas l’eau courante. Une pièce est réservée à la toilette avec un lavabo et un réservoir. Pas de cuisine non plus. Le lavabo permet d’avoir de l’eau pour faire la vaisselle et la gazinière est dans la pièce où se trouve le poêle. Il y a des doubles fenêtres pour protéger du froid mais certaines sont presque complètement recouvertes de glace selon l’orientation. Fin mars, les journées sont ensoleillées et déjà longues (environ de 6h00 à 18h00).

Nous nous sentons tout de suite chez nous.

Les repas sont un bon moyen de découvrir les habitudes alimentaires yakoutes : le poisson congelé, la viande de renne et de poulain au four, en soupe ou en pâté, les crêpes et la confiture de myrtilles en dessert ou au petit déjeuner accompagné de crème fouettée, le tout arrosé de vodka ou de mors (jus de fruits rouges).

Tomtor :

C’est à Tomtor qu’a lieu tous les ans le festival du pôle du froid, fin mars, une période où la température est plus clémente. Elle correspond à l’arrivée du printemps. Les températures varient entre -10° dans la journée et -20° le matin et le soir, tout à fait supportable d’autant plus qu’il s’agit d’un froid sec.

L’espace dédié au festival est un grand terrain qui sert également pour la fête Ysiakh, l’autre grande fête nationale qui marque le début de l’été et qui a lieu tous les ans fin juin.

Tous les habitants de la vallée viennent admirer les sculptures de glace et veulent assister à la cérémonie d’ouverture pour voir le président de la Yakoutie.

Après son discours, les personnages emblématiques défilent : la personnification de l’hiver, les mouflons, des rennes, la mer avec les poissons et une sirène, le dieu de la chasse, les éleveurs de rennes et les peuples du nord… La cérémonie se termine avec Tchiskhaan, le dieu taureau souvent associé de nos jours avec le « père Noël Yakoute ».

Nous sommes seulement 4 français, 4 japonais et 2 ou 3 chinois. Un organisateur me demande de faire un petit discours pour dire que je ramène le froid car l’hiver est terminé chez nous et je le leur confie jusqu’à l’année prochaine. Je le fais en français car le public préférera entendre parler français.

On nous offre des petits beignets ronds symbolisant probablement le retour du soleil et une grande ronde se forme.

Oïmiakon est un petit village de 500 âmes connu pour être le pôle du froid. La photo devant la stèle marquant les -71,2° en 1926 est un passage obligé.  Nous nous y prêtons de bon cœur d’autant plus que Tchiskhaan nous remet le certificat prouvant que nous y sommes venus. Nous n’avons pas beaucoup de mérite car ce jour-là, il ne fait que -9° mais chut, personne ne le saura…

En dehors de cette stèle, Oïmiakon vit simplement de l’élevage. Nous voyons des vaches au pelage frisé qui ne semblent pas souffrir du froid. Des paysans passent en motoneige tirant une cargaison de foin.

Ici, comme à Tomtor, nous sommes loin de la ville, on vit au rythme de la nature. Peu de personnes ont internet et s’il y a bien un ordinateur dans notre maison, les jeunes filles ne semblent pas traumatisées de ne pas avoir de connexion… Elles préparent à manger, font la vaisselle et sortent en famille ou avec les amis.

La soirée nous réserve une surprise. Nous assistons dans la maison de la culture de Tomtor à l’élection de miss Pôle du froid. La salle est pleine à craquer. Tout Tomtor et les villages environnants semblent s’y être regroupés. C’est le spectacle de l’année. Beaucoup de personnes assisteront au spectacle debout. Le concours de miss semble inspiré des concours que l’on connaît : première apparition en costumes traditionnel revisités, puis une petite interview qui fait perdre ses moyens à plusieurs candidates. Certaines essaient même de dire quelques mots en anglais. Chacune doit faire un numéro, le plus souvent une petite chorégraphie, enfin c’est le défilé en tenue de ville, maillot de bain ou robe de soirée. Ces passages sont entrecoupés par des chansons locales ou pas…A notre surprise, deux candidates viennent de Chine, de même que deux chanteurs. L’un d’eux chante en russe et l’autre en chinois pour le plus grand bonheur des spectateurs qui semblent enthousiasmés.

Nous retrouvons notre Tchiskhaan qui chante l’une de ses compositions. Décidément, cet homme est un artiste : acteur, photographe, chanteur, compositeur…et officiellement soudeur !

Les paris vont bon train sur la future miss. Nous sommes pris au jeu et assez d’accord avec le choix du jury.

Le lendemain, nous retournons au même endroit pour voir le spectacle des enfants évènes. Les danses sont gaies et font allusion à la vie des éleveurs et leurs croyances, danses des rennes, célébration du soleil…

Puis, tel le père Noël, les éleveurs de rennes arrivent sur leurs traineaux. Les rennes sont dociles et se laissent facilement caresser. Ils ont le poil doux et épais. Mêmes les habitants de Tomtor semblent émerveillés de voir les rennes.

Nous participons à la cérémonie de purification qui consiste à tourner autour un feu et attacher un ruban et déguster du foie de renne… Enfin, une course de rennes a lieu, sur la piste de l’aéroport !! et le gagnant reçoit un fusil, le deuxième une télévision et la troisième, un aspirateur automatique… drôle d’idée quand on est nomade !

L’occasion nous est donnée de tester le traîneau de rennes. C’est assez inconfortable, en bois, sans dossier, il faut se tenir à des cordages pour ne pas perdre l’équilibre.

L’accueil à Tomtor a été des plus chaleureux. Les gens viennent nous voir, essayent de nous parler et nous demandent de faire une photo avec eux, ce que nous acceptons avec plaisir. Les enfants ont revêtu les costumes traditionnels pour leur spectacle mais nous sommes également admiratifs de la tenue des femmes Yakoutes car malgré le froid elles sont très élégantes. Bien sûr le manteau de fourrure est de mise sous ces latitudes…Leurs bottes et leurs gants brodés ont particulièrement plu aux femmes de notre petit groupe ! Voici quelques portraits yakoutes.

 

Chevaux Yakoutes :

Nous rencontrons Mikhaïl sur sa propriété. Il possède 98 chevaux répartis en plusieurs troupeaux chacun dominé par un mâle. Les chevaux sont à moitié sauvages, ils vivent dans les champs alentour, sans barrière, libres de leurs mouvements. Mais quand Mikhaïl les appelle, ils l’entendent de loin et viennent le voir. Ils sont très beaux avec un pelage allant du fauve au blanc, certains tachetés de noir.  Ils sont élevés pour la viande. En Yakoutie, on mange du poulain et pas du cheval. Pourtant Mikhaïl est attaché à ses chevaux. Il leur donne des prénoms : Napoléon, le Guerrier… Il nous raconte comment les troupeaux se protègent de l’attaque des ours ou des loups. D’ailleurs Mikhaïl a tué deux ours l’été dernier et nous voyons leurs peaux sécher au soleil…

Mais, le retour approche et la route est longue. C’est à regret que nous laissons Tomtor pour rejoindre Yakoutsk. Nous gardons en mémoire l’accueil chaleureux des habitants, leurs sourires et la qualité de leur vie. Car même s’ils n’ont pas le même confort que nos standards européens, ils vivent en harmonie avec la nature qu’ils respectent. Une notion que nous semblons avoir oubliée…

Nathalie Evrard

 

Retrouvez notre voyage sur notre site.

 

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