Lac Baïkal, mer sacrée

Choisir de partir en Sibérie est surprenant pour de nombreuses personnes. Cette destination est encore trop souvent rattachée à des souvenirs douloureux ( les goulags, la rudesse du climat, l’éloignement, les animaux sauvages…). La littérature nous a fourni une galerie d’images effrayantes ( Jules Verne avec Michel Strogoff est l’un des exemples les plus populaires, mais aussi L’archipel du Goulag de Soljenitsine…). Heureusement depuis, Sylvain Tesson et son séjour Dans les forêts de Sibérie a largement contribué à changer les mentalités et donner envie au voyageur curieux de s’aventurer dans cette contrée lointaine et démesurée.

Choisir de partir en Sibérie en hiver est encore plus surprenant. C’est pourtant, à mes yeux, la plus belle saison, la plus dépaysante. Choisir de découvrir l’hiver sibérien c’est aller à la rencontre d’émotions, de sensations méconnues ou oubliées depuis longtemps.

Bienvenue au pays de la démesure ! La seule région d’Irkoutsk couvre 768000 km² (soit une fois et demie la France).

13 mars. 10h00 du matin, -22° : nous suivons notre guide Arina (comme la nourrice de Pouchkine !) dans Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale. Le vent balaie les quais de l’Angara, la neige s’élève en tourbillons et nous cingle le visage. Pourtant, nous sommes captivés. Arina nous raconte comment cette ville, fondée par les cosaques au XVIIe siècle, constituait l’une des étapes de la conquête de la Sibérie. Irkoutsk  s’est rapidement développée grâce au commerce de la fourrure – en particulier de la zibeline – puis du thé, des soieries… Irkoutsk – noeud commercial entre la Chine, la Mongolie et la Russie occidentale, a vu naître des dynasties de marchands.

Cela explique le charme de cette ville qui a gardé de nombreuses maisons de bois, encore habitées ou transformées en musée comme la maison du marchand Soukatchev ou la maison du prince Volkonski, décembriste, envoyé au bagne pour avoir tenté un soulèvement en 1825.

Surnommée le « Paris de la Sibérie », elle se caractérise par sa diversité architecturale : maisons de bois, églises peintes, bâtiments de l’époque communiste…

Lors de notre balade, nous croisons un groupe de jeunes filles, vêtues de parkas militaires et de gros rubans dans les cheveux. Elle avancent fièrement vers le monument aux morts pour assurer la relève de la garde, réminiscence du passé soviétique…

Mais il nous faut quitter Irkoutsk car nous n’avons qu’une hâte, voir enfin le lac Baïkal pris dans les glaces ! Nous longeons l’Angara pendant 70 km, traversant les faubourgs de la ville, puis des villages et des forêts de bouleaux, de pins, de sapins ou de cèdres..

La route s’élève et tout à coup, nous apercevons une masse blanche. Il est là. Notre rêve prend forme. Et comme des enfants, nous entendons dans le véhicule des exclamations : des « Oh ! Ah ! le voilà ! regardez! « …Excitation, admiration, émotion, étonnement, tous ces sentiments se mélangent et se libèrent. Nous n’y tenons plus, nous nous précipitons pour voir ce géant, le sentir, l’écouter, l’immortaliser comme si ce phénomène allait disparaître le lendemain !

Contre toute attente, on observe une nette démarcation entre le lac pris dans la glace et la rivière qui n’est pas gelée. L’ Angara – la seule rivière qui prend sa source dans le Baïkal –  gèle plus tardivement, car elle est alimentée par les eaux profondes, plus chaudes.

Nous nous arrêtons à Listvianka, station balnéaire en devenir, adossée à la forêt et faisant face au lac. Elle jouit d’une situation idéale. Même si quelques petits hôtels sont en construction, elle garde tout son charme grâce à ses maisonnettes de bois colorées.

Le Baïkal est le lac des superlatifs : lac le plus profond du monde (1637m), le plus vieux (25 millions d’années), le plus riche en espèces endémiques, et l’une des eaux les plus pures (sa transparence est de 42 m, mesurée avec le disque de Secchi). Il est inscrit au Patrimoine de l’Humanité depuis 1996 comme «l’exemple le plus exceptionnel d’écosystème d’eau douce».

Le Baïkal ne dépasse pas la latitude d’Edimbourg. Mais l’hiver rigoureux de Sibérie donne naissance à une banquise qui dure 4 mois. A partir de fin janvier, le lac est complètement gelé. L’épaisseur de la glace peut atteindre 70 cm dans le sud et jusqu’à 1,20m dans le nord. Les bateaux, immobilisés dans la glace, s’octroient quelques mois de repos.

Le Baïkal se vit de maintes façons et surtout en hiver. Les activités et les moyens de transports variés rendent la découverte encore plus attractive et authentique.

Notre exploration commence avec une balade en traineau à chiens  sous un soleil éclatant. L’émotion est au rendez-vous. Seuls les ordres du musher résonnent au milieu de la taïga. Il ne fait pas froid. Bien équipés, le froid sec est tout à fait supportable.

Puis, c’est en motoneige que nous parcourons la rive sud-est du lac sur une soixantaine de kilomètres longeant l’ancienne voie ferrée du transsibérien. Etrange sensation devant cette étendue blanche à perte de vue. Un sentiment de liberté mêlé de crainte devant cette nature si imposante.

Nous quittons à regret notre maison d’hôtes chez Nicolaï qui nous a reçus comme ses amis et avec lequel nous avons partagé des fous rires dans son bania, sauna russe, véritable institution en Sibérie ! Les plus courageux ont fini dans le lac : baignade-éclair saisissante mais revigorante !

C’est en aéroglisseur que nous gagnons la rive sud-ouest du lac. Les aéroglisseurs remplacent taxis et autobus pendant l’hiver. Montés sur coussins d’air et propulsés par une énorme hélice à l’arrière, ils permettent de transporter jusqu’à 8 personnes et leurs bagages, d’un point à un autre du lac. Ils passent partout même s’il y a des crevasses ou si l’eau commence à dégeler.

Sur ce lac que l’on pourrait apparenter à un grand désert blanc, on n’est jamais seul. On y croise toujours quelqu’un. Toutes sortes de moyens de locomotion sont utilisés : les voitures,  les UAZ (4×4 russes) foncent sur les routes officielles marquées par des panneaux de signalisation, les promeneurs vont à pied, en patins, à ski et même à vélo !

Chaque étape donne lieu a de nouvelles découvertes. Ce lac est tout sauf monotone. Il est à l’opposé de nos préjugés : ni silencieux, ni blanc, ni lisse, ni vide. Le Baïkal vit, respire, chante…

En octobre, de grosses tempêtes créent des vagues de 5-6 m. En novembre, apparaissent les premières stalactites. Décembre voit les premières « crêpes de glaces » quand les vagues figent avec le froid. Fin janvier, le lac est complètement gelé et les plaques de glace sont soumises à une forte pression créant des crevasses ou des monticules allant jusqu’à 1,5 m.

L’eau du Baïkal est très pure. La glace, parfois lisse et coupante comme du verre, emprisonne à certains endroits des bulles de gaz. La nature est artiste et on a parfois la chance de découvrir des sculptures dignes de l’art contemporain.

Dans cette palette monochrome allant du blanc au bleu gris, se détachent parfois des poteaux  de bois ornés de rubans. On les appelle des « Sergué », iIs bordent souvent les routes ou dominent le lac du haut d’une colline. Ce sont des lieux d’offrandes car le lac Baïkal est un site sacré pour les chamanes. On y dépose une pièce, une cigarette, un ruban pour honorer l’esprit du lieu, sans oublier de lui offrir un peu de vodka, ce que nous ne manquons pas de faire avec Arina.

Il reste enfin un élément essentiel à tout voyage, le voyage culinaire. La cuisine sibérienne s’inspire des traditions des Bouriates, des Evenques, des Cosaques, de l’aristocratie et de son goût raffiné.  C’est pourquoi on se régale des traditionnels blinis, des cornichons, mais aussi de « pozi » ou pelmeni, sortes de gros raviolis fourrés, cuits à la vapeur ou encore de l’omoul, poisson endémique du lac…

C’est à regret que nous quittons la Sibérie et surtout le lac Baïkal. Nous avons été transportés, émerveillés et comptons bien faire savoir que la Sibérie n’est pas ce que l’on croyait :  certes, dépaysante mais surtout énergisante et relaxante. Sur le vol de retour,  les commentaires vont bon train. Nous sommes tous convaincus des bienfaits de cette région. Le Baïkal nous a rendu notre âme d’enfant.

Nathalie Evrard

 

Retrouver notre voyage Baïkal en hiver : https://www.explo.com/circuit-russie-baikal-la-magie-de-l-hiver

 

 

 

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2 thoughts on “Lac Baïkal, mer sacrée

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  1. Bonne année 2019

    Félicitations Hervé et Natalie Evrard pour la qualité de ce reportage qui donne véritablement envie de s’inscrire en hiver prochain.

    D’ailleurs le voyage de Michel Strogoff a été repris par la télé allemande dans une série hors commun dans les années 80/90 …..

    Je suis candidat pour un départ en hiver 2020

    bien à toi
    Rudolf

  2. Bonjour Nathalie,

    Tout d’abord tous mes voeux de bonne et heureuse année sur le plan personnel et professionnel.
    Quel plaisir de te lire et ainsi de revivre ce si beau circuit fait ensemble. Circuit très très complet mais qui, pour moi, a été rendu encore plus beau par une guide adorable (et efficace) une accompagnatrice au « top » (ne rougis pas) et un groupe extra malgré (ou à cause) de nos différences d’âges, d’horizons … Le froid (muselé parfois par la vodka) n’a jamais gelé notre enthousiasme et notre bonne humeur. Encore MERCI à toi et à EXPLO avec qui j’ai hâte de repartir en Avril au Turkménistan.
    Bises de Savoie (où il ne fait plus très chaud) Nicole Bouvier

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